ETUDES ET RECHERCHES

LE CHÂTEAU DU VIGNEAU A BAYONNE

Gilles SCHMIDT-LISSARRAGUE

Dans la Region Aquitaine, avec le Fort de Socoa et le Phare de Biarritz, le Chateau du Vigneau, situé sur les hauteurs de Saint-Etienne, et déjà repertorié de longue date à l’inventaire des architectures remarquables de Bayonne a été inscrit aux Monuments historiques par décret du 17 juin 2009, publie au Journal Officiel du 12 mai 2010.

Akitania eskualdean Zokoako gotorlekuarekin eta Biarritzeko itsas­argiarekin, du Vignaujauregia, Saint-Etienne-ko gainaldean eraikia, Monumentu Historikoen sailan sartua izan da 2009ko ekainaren 1 lko dekretuaren bidez, eta Journal Officiel-ean pub!ikatua 2OlOeko maiat­zaren l2an. Aspaldian zerrendatua zen Baionako arkitektura ohargar­rien artean.

Le Vigneau, Portail d’entrèe.

Portail Entree


Le nom de Vigneau rappelle que les terrains de Saint-Etienne, situés au Nord du Chemin de La Harie, étaient couverts de vignes jusqu’au XIXe siècle. Ces vignes sont nettement représentées sur le plan-relief de la Place de Bayonne, conservé à l’Hotel des Invalides de Paris.

Du grand domaine (château et parc) créé dans la première moitié du XIXe siècle, subsistent, dans les parties visibles à partir du Chemin de La Harie, le portail monumental en fer forge ouvrant sur une allée arborée, le bâtiment principal du Chateau entouré d’une douzaine d’arbres centenaires et un petit parc donnant sur un ruisseau. Cette partie résiduelle de l’ancien domaine apparaît comme un îlot préserve, au milieu d’un espace de constructions modernes avec des jardins fleuris, mais ou hélas les arbres se sont raréfiés et qui a donc perdu de son ame.

Tel qu’il est aujourd’hui, le Chateau du Vigneau présente un triple intérêt, d’ordre architectural, historique et culturel.

• Une réussite architecturale unique

Le château actuel a été entièrement rebâti dans son gros oeuvre a partir de 1815, sur les ruines d’une maison plus ancienne (Le Vigneau -sinistré, comme son annexe du Petit Vigneau, pendant les combats d’avril 1814), grâce aux indemnités de dommages de guerre.

Par la suite, il a été remanié sous le Second Empire suivant le style de l’époque. Au début du XXe siècle, les célèbres architectes Louis et Benjamin Gomez lui ont apporté les commodités modernes, notamment l’eau courante et l’électricité, comme en témoignent les factures encore conservées a la Bibliothèque de Bayonne.

Il constitue une réussite architecturale alliant avec bonheur :

·        une grande rigueur de conception qui en fait une oeuvre très équilibrée. parfaitement symétrique de part et d’autre de l’axe central. En revanche, elle présente des différences d’élévation : la façade sud comporte deux niveaux, mais les autres parties trois, en raison de l’existence d’un large fossé. La façade nord avec sa tour et ses quatre grandes verrières a fière allure

Le Vigneau. Façade nord

Le Vigneau. Façade nord

Le Vigneau. Façade sud

Le Vigneau. Façade sud


· un charme un peu romantique, par son immense toiture aux grandes cheminées ornées, par la fantaisie de la décoration des façades et l’harmonie des couleurs ou dominent le blanc et un rouge presque rose.

Mais il s’agit aussi d’une construction très fragile, du fait qu’elle a été élevée en bordure du glacis nord de la Citadelle et que sa conception et sa réalisation devaient donc tenir compte des très lourdes contraintes particulières, imposées par la législation en vigueur sur les fortifications, au début du XIX’ siècle. Elle devait en effet pouvoir être détruite (du moins les parties s’élevant au-dessus du niveau du glacis) en quelques heures, au besoin au canon, en cas d’alerte.

Anonyme, vers 1880.

 

Plan relief encadré de Bayonne.

Platre peint à l’aquarelle et a la gouache.

Echelle 1/10.000’

 

Musée Basque et de I’histoire de Bayonne, fond ancien.

Plan relief encadré de Bayonne


.

 

C’est donc un château dont l’ossature, entièrement en poutres de chêne, est doublée vers l’intérieur d’une cloison de briques et vers I’extérieur d’un appareillage alliant briques et treillage, couvert d’un épais mortier à la chaux, supportant des moulures décoratives en stuc. Le toit en forte pente repose sur une charpente en chêne, dont les poutres sont fixées exclusivement par des tenons. Il est recouvert d’ardoises épaisses et de grandes dimensions ; l’étancheite des larges chéneaux en zinc est faite au plomb.

Les caves et les douves qui l’entourent sur trois cotés ont été conçues d’une largeur et d’une profondeur suffisantes pour pouvoir contenir la totalité des gravats de démolition, afin de n’offrir à un éventuel assaillant aucune possibilité de retranchement.

Le Vigneau reste probablement la seule construction importante de ce type, encore existante à Bayonne.


• Le domaine du Vigneau dans les combats de 1814

Le domaine du Vigneau a été le théâtre de combats violents et meurtriers, en 1814, lors du siége de Bayonne (17 février - 5 mai 1814) par les armées alliées (Anglais, Espagnols, Portugais), sous le commandement de Duc de Wellington et du Général Hope.

Les hauteurs Est de Saint-Etienne dominent en effet legerement la citadelle. Elles contrôlent, de plus, les routes de Bordeaux et de Toulouse. Il importait donc pour Ies défenseurs d’en rester maîtres et d’y organiser hâtivement, en cas de menace, des points forts s’appuyant principalement sur l’ancienne église romane et le cimetière juif. Pour contrer toute menace vers le nord, trois lignes de défense ont été organisées, la troisième position ayant pour mission :

·    de couvrir la forteresse par trois redoutes Micalet, Grande Vigne et Moracin,

·      d’occuper les carrefours des routes de Bordeaux et de Toulouse autour du cimetière juif et d’étendre la défense jusqu’a église de Saint-Etienne,

·         de contrôler les défilements possibles en établissant une ligne de défense le long de l’actuel “Chemin de la Harie”, s’appuyant sur Ies maisons existantes: Lesperon, Vigneau, Duc, Basterreche, Montaigu...

 

Il était donc non moins essentiel, pour les Allies qui avaient franchi l’Adour en aval de Bayonne, de s’en emparer. Ils ne pouvaient le faire qu’en progressant par les vallons non battus par les feux de la Citadelle et, plus particulièrement, celui du “ruisseau de la Fontaine du Vigneau”.

 

D’où les combats qui se déroulèrent à deux reprises en 1814, dans ce qui deviendra le domaine du Vigneau

 

·         Une première fois, le 27 février, au début de l’attaque des Allies qui parvinrent ensuite à s’emparer des points forts de Saint-Etienne, achevant ainsi le blocus de la Place de Bayonne (ligne de front le long du “Chemin de la Harie”).

·         Une deuxième fois. dans la nuit du 13 au 14 avril, lors de la fameuse “Sortie de Bayonne”, lorsque les Français reprirent provisoirement les hauteurs de Saint-Etienne, en infligeant des pertes très sévères aux troupes anglaises et alliées Au cours de cette action, le Général anglais Hope, commandant en chef des troupes alliées assiégeant Bayonne, fut blessé et fait prisonnier dans le vallon, en contrebas de l’actuel Vigneau.



 

“La Sortie de Bayonne du 14 avril 1814”, tire de Martial Achievements of Great Britain and her Allies from 1799 to 1815.

La Sortie de Bayonne du 14 avril 1814

 


C’est au cours de cette action que toutes les maisons bordant le chemin de La Harie, et en particulier le Vigneau initial et ses dépendances, ont été le théâtre de violents combats, puis ont été brûles et rasés jusqu’aux fondations par les sapeurs francais, avant leur repli sur la citadelle.

 

Il existe donc un lien très étroit entre le domaine du Vigneau et les hauts lieux de mémoire que sont, depuis prés de deux siècles, les “Cimetières des Anglais” des environs (celui des officiers des Coldstream Guards est situé à quelques centaines de mètres en aval du vallon du Vigneau).

 

 

Un témoin du rôle important de la communauté juive de Bayonne au XIX” siècle.

 

La communauté juive de Bayonne joua non seulement un rôle économique et administratif, mais également spirituel et culturel, surtout à partir du moment ou, en 1846 - et en dépit de sa faiblesse numérique la très active communauté de Saint-Esprit devint le siége d’un consistoire : fait exceptionnel ! Berceau du rite “portugais” en France, son importance fut comparable aux communautés d’Alsace ou de Carpentras.

Si les cartes du XVIIIeme montrent déjà l’existence d’une construction a l’emplacement actuel du Vigneau, la première mention sous cette appellation se trouve dans les archives de Saint-Esprit, ou est notée “ la prise de possession du Vigneau”, le 14 septembre 1798, par Mardochee Mendès France et son épouse Abegail Henriques Castro, bourgeois de Bordeaux, domiciliés à Saint Domingue.

Le domaine est donne en location en 1802 à Jacob Rodrigues Jeune, agent de change, puis acheté par ce dernier en 1811. C’est lui qui commence, à partir de 1815, la reconstruction de l’actuel Vigneau, sur les fondations de son ancienne maison sinistrée par les combats de 1814. N’ayant pas d’héritier, il fait donation -par acte date du 13 avril 1835- du domaine du Vigneau à sa nièce Sara d’Isaac Rodrigues, épouse d’Isaac d’Aaron Fonseque, riche courtier qui demeurait déjà dans les lieux. En près d’un demi-siècle d’occupation, ce couple donnera au Vigneau son aspect actuel.

En 1883, son fils Aaron Felix Fonseque, fabricant et artiste, et sa fille Rachel, épouse de Mardochee Mendès France, négociant, héritent du Vigneau. Résidant à Neuilly du vivant de son mari, Rachel, devenue veuve, se retire au Vigneau, chez son frère Felix qui occupait le domaine.

A sa mort, le 8 février 1912, Felix lègue le Vigneau à sa nièce Abigail Odette Mendès France, fille de sa soeur Rachel et épouse de Moise Jules Castro, négociant.

Le Vigneau reste par conséquent indissociable de la famille Fonseque (nom francisé de Fonseca) qui l’occupa de 1835 à 1920.

Rappelons que cette famille n’est vraiment connue qu’à partir de la fin du XVIIIe siècle, ou son chef Mardochée Lopes Fonseca, homme très pieux, était considéré comme “l’âme de la communauté juive locale”. Dés cette époque, elle était liée par des alliances matrimoniales à la plupart des grandes familles juives de Bayonne : Gommes, Castro, Leon, Mendes...

Au XIXe siècle, la famille Fonseque se spécialisa dans le courtage commercial et fit fortune - la place de Bayonne était alors l’intermédiaire commercial quasi oblige entre l’Europe occidentale et nordique et la Péninsule ibérique.

Grace à la fortune ainsi réalisée, la famille Fonseque put transformer et embellir le château du Vigneau vers le milieu du siècle. Le nom de la famille y est perpétue par de nombreux “F” et cela, des le beau portail d’entrée en fer forge.

Les Fonseque ne furent pas seulement des courtiers et des commerçants habiles. Beaucoup d’entre eux furent aussi des artistes, musiciens surtout, en particulier Félix Fonseque qui fut longtemps le directeur du Choeur du “temple” de Saint-Esprit. Cet amour de la musique devint une tradition familiale, le salon du Vigneau servant de cadre à des réunions musicales hebdomadaires, encore entre les deux guerres mondiales.

Le 2 mars 1920, Abigail Odette Mendes France vend le Vigneau à Eloi Duboscq, propriétaire, et à son épouse Marie-Louise Françoise Vivier.

Le 23 décembre 1935, le domaine du Vigneau fait l’objet d’une saisie pour dettes et est vendu aux enchères aux époux Cazalis qui chercheront à le revendre, sans trouver d’acquéreurs.


The area is leased in 1802 to Jacob Rodrigues Junior, a stockbroker, then bought by him in 1811. He begins, in 1815, reconstruction of the existing Vigneau on the foundations of the old house destroyed by the fighting of 1814. Having no heir, he donated, - by deed dated April 13, 1835 - the domain of Vigneau to his niece Sara Isaac Rodrigues, wife of Isaac Aaron Fonseque, a rich broker who already lives in the place . In nearly half a century of occupation, this couple will give the Vigneau its present appearance.


En 1936, le Vigneau, alors seulement habite par la famille du personnel de maison, aurait accueilli,
à l’initiative d’André Malraux et de Jean Moulin, une centaine d’orphelins de la Guerre d’Espagne, réfugies en France et confiés à des quakers’.

De 1940 à 1944, le château est réquisitionne par l’occupant allemand d’abord, la Luftwaffe, puis la musique militaire et finalement, les Jeunesses Hitlériennes encadrées par des SS. En 1944, le Vigneau, comme d’autres édifices et ouvrages d’art bayonnais, aurait du être détruit par les Allemands mais a été sauve in-extremis par un officier. Le domaine, racheté en 1948 par le Général Labarthe. est loti et mis en vente après son décès. C’est en 1963 que le Général Maurice Schmidt (Mulhouse, 1921 - Bayonne, 1997) et son épouse née Mayi Lissarrague - dont un ancêtre traduisit en langue basque le “Nouveau Testament” pour Jeanne d’Albret -‘ acquièrent la partie centrale de l’ancien domaine, et entreprennent sa remise en valeur, aujourd’hui reconnue par cette inscription aux Monuments historiques qui en conforte la préservation.

 

“Le château rose”, selon la dénomination familière des plus anciens habitants du quartier de Saint-Etienne, occupe par conséquent une place originale et méritée dans le patrimoine architectural et dans l’histoire militaire et sociale de la Ville de Bayonne et au-delà. C’est aussi un lieu de mémoire pour une famille et ses amis, qui, l’été, à la fraîcheur des arbres séculaires, ou dans la douceur si unique offerte par le Pays Basque certains jours d’octobre, évoquent le souvenir de ceux qui, avant eux, y furent attaches : tel Pierre Mendes France (1907-1982), revenu “en pèlerinage sur les lieux de ses vacances chez sa grand-mère Abigail”

 

ETUDES ET RECHERCHES

Sources

1.        Oukhemanou A., 2008, Salomon, Rebecca, Numa, Chevalier et autres Bayonnais. editions Atlantica.

2.        Oukhemanou A., 2001, La communaute juive de Bayonne au XIX siècle, editions Atlantica.

3.       Ansoborlo J. (general), 1995, Histoire militaire de Bayonne 1789-1940 in Revue d’Histoire de Bayonne, du Pays Basque et du Bas Adour.

4.        Clerc (cdt), 2005, Les campagnes du Marechal Soult dans les Pyrénees occidentales 1813—1814, editions Pyremonde.

5.        Migliorini P. et Quatre Vieux J., 2002, Batailles de NAPOLEON dans le Sud-Ouest, editions Atlantica.

6.        Pellot J., 2009, Memoires d’un commissaire des guerres 1813 et 1814, Librairie des Deux Empires.

7.        Vivien (cdt), 2003, Souvenirs de ma vie militaire - 1792/1822, Librairie des Deux Empires.

8.        Acte de donation du 19 mai 1938.

9.        Temoignages de Mme Etchave et Velche, qui ont vecu avec leurs parents au Vigneau de 1936 a 1948.

 

Notes

1.        Concernant cet episode, J.-C. Larronde nous a signalè que dans l’ouvrage de Jesus J. Alonso Carballes, Historia y memoria de un éxodo infantil, 1936-1940, aux pages 243 et 244, l’auteur donne quelques indications sur un organisme anglais, le “Foster Parent’s Commitee for Spanish Children” qui dependait du “Foster Parent’s Scheme”. D’apres l’auteur, cet organisme a fonctionné seulement l’année 1939 et a accueilli des enfants qui ètaient jusqu’alors dans d’autres colonies dependant d’autres institutions, dont celle du Vigneau a Bayonne. Il cite une référence aux archives de Pau : ADPA 1 M 283. Censo departamental, julio 1939 (NdR).

2.        Pour mémoire : l’exposition : “ Les stèles discoidales basques redécouvertes par Maurice Schmidt (Dessins 1940-1950)” en 2006, suite au don fait au Musée Basque et de I’Histoire de Bayonne.